Pour une loi anti-fast fashion efficace : nos propositions aux sénateurs et sénatrices
En mars 2024, les députés ont adopté à l’unanimité la proposition de loi visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile - plus connue sous le nom de “loi anti-fast fashion”.
Les 2 et 3 juin 2025, ce sont les sénateurs et sénatrices qui débattront du texte en séance plénière.
À ce stade du processus, il est crucial d’ajuster la rédaction de cette loi pour garantir qu’elle touchera sa cible : le modèle de la fast fashion, cet ensemble de pratiques qui poussent à la surconsommation de vêtements.
Autrement dit, il ne s’agit pas seulement de viser quelques acteurs emblématiques (qui déploient en ce moment même d’énormes moyens de lobbying contre cette loi) mais de dissuader l’ensemble du secteur de rentrer dans cette course infernale des prix les plus bas et des volumes toujours croissants. Et, à l’inverse, de préserver et encourager les acteurs qui souhaitent se distinguer de ce modèle par des pratiques plus vertueuses (que ce soit en termes d’écoconception ou de marketing).
Alors, comment rendre cette loi efficace ? Voici nos 3 recommandations clés :
Choisir une méthode d’évaluation des impacts environnementaux “clé en main”, applicable immédiatement : celle de l’affichage environnemental, tout juste aboutie après plus de 2 ans de travaux. Elle permettra de mettre en place au plus vite les pénalités financières destinées à décourager les pratiques de la fast fashion.
Réintroduire l’interdiction globale de la publicité pour les marques de fast fashion, justifiée par son impact excessif sur l’environnement et donc sur les conditions de vie humaines.
Ajouter une mesure “garde-fou” pour éviter que de fausses places de marché contournent la définition de la fast fashion : si une marque vend principalement sur une plateforme alors ses références de produits doivent être comptabilisées au titre de la plateforme qui peut donc se trouver régulée par les dispositions de la loi.
Nous appelons tous les sénateurs et toutes les sénatrices à s’emparer de ces propositions et rappelons l’urgence à agir : de nombreuses entreprises françaises (industrie textile et marques) sont en grande difficulté du fait de la concurrence déloyale de la fast fashion. Ces acteurs engagés dans la relocalisation et l’écoconception ne survivront pas sans une régulation du secteur !
Pour plus de détails sur ces propositions et sur l’ensemble de notre analyse de la proposition de loi et de ses enjeux, vous pouvez lire notre note de position.
F.A.Q.
Est-il vrai que cette loi va instaurer une taxe sur les vêtements bon marché ?
Non, cette formulation est trompeuse. La loi n’instaure pas une taxe sur tous les vêtements bon marché, mais des primes et des pénalités aux entreprises, en fonction de leurs pratiques. Les entreprises peuvent décider ou non de répercuter ces primes et pénalités sur le prix de leur produit.
Si les marques de fast fashion veulent éviter d’être touchées par ces pénalités, elles ont la possibilité d’améliorer la conception de leurs vêtements ainsi que leur politique commerciale.
L’objectif est de mettre un terme à des pratiques qui détruisent de l’emploi (dans le commerce par exemple), perpétuent des conditions de travail déplorables (production délocalisée, à des cadences effrénées) ou polluent durablement l’environnement (microplastiques des fibres synthétiques, émissions de gaz à effet de serre du transport par avion… ).
Est-il possible de fonder les pénalités sur l’affichage environnemental, si celui-ci n’est pas obligatoire ?
Oui, car il faut distinguer l’affichage (qui vise le consommateur) et la méthodologie de calcul d’impact qui se cache derrière. Si l’affichage reste facultatif (“volontaire”) dans un premier temps, cela n’empêche pas l’éco-organisme d’appliquer la méthodologie issue de l’affichage environnemental. Les données ne seront alors pas directement communiquées au public mais pourront être contrôlées par les services de l’Etat.
D’autre part, l’affichage environnemental doit devenir, à terme, obligatoire : l’article 2 de la loi Climat et Résilience précise qu’il doit l’être avant août 2026.
N’est-il pas risqué de fonder les pénalités sur du déclaratif ?
Ce sont en effet les marques qui doivent fournir un certain nombre de données pour permettre le calcul de l’impact environnemental. Cela n’empêche pas des contrôles (comme pour les impôts). De plus, durant les deux années d’élaboration de la méthodologie française, une attention particulière a été portée au caractère “contrôlable” des différents critères utilisés et la publication de la plupart des informations utilisées par la méthodologie est même déjà obligatoire (composition, pays de fabrication, catégorie de produit etc…)
Par ailleurs, les écocontributions versées dans le cadre de la REP sont déjà fondées sur des déclarations annuelles du nombre de produits mis sur le marché, ce mécanisme n’est donc pas nouveau.
La proposition de loi est-elle compatible avec le cadre réglementaire européen et la constitution française ?
Oui.
Les primes-pénalités s’inscrivent dans le cadre des éco-modulations des filières REP (Responsabilité élargie du producteur), principe qui a été généralisé à l’échelle de l’Union européenne pour le textile par la révision de la directive cadre déchet. Ce texte tout juste adopté par l’Europe prévoit justement que les pratiques industrielles et commerciales de la fast fashion soient visées par des écomodulations.
La Commission européenne vient également de donner un feu vert à l’affichage environnemental français, validant de fait l’utilisation de la méthodologie sous-jacente.
Réglementer la publicité est tout à fait possible dans le cadre constitutionnel français, comme le rappelle un rapport interministériel de décembre 2024, sous réserve que les restrictions ou interdictions soient argumentées.
La loi Climat et résilience de 2021 prévoit déjà que la publicité soit réglementée voire interdite en fonction de critères environnementaux : cela concerne les produits biocides, les énergies fossiles ou les véhicules thermiques. Pour la publicité émanant des acteurs de la vente en ligne, il existe un risque de non-conformité avec la directive européenne e-commerce, il est donc nécessaire que la France se positionne comme pionnière pour faire évoluer le droit européen.
La loi ne risque-t-elle pas de pénaliser par erreur des entreprises vertueuses, comme celles qui fabriquent en France ?
Les pénalités envisagées, si elles se fondent sur le calcul d’impact issu de l’affichage environnemental, toucheront des acteurs qui cumulent les mauvaises pratiques. La méthodologie inclut en effet de très nombreux critères qui prennent en compte à la fois la conception de vêtement et les pratiques commerciales. La robustesse de cette méthodologie “multi-critères” permet de limiter les effets de bords. Ce mécanisme a pour but de faire évoluer les pratiques des entreprises, en encourageant les plus vertueuses (made in France, coton bio etc.) et en pénalisant les plus destructrices (acheminement par avion, utilisation systématique de polyester etc.)
Il existe cependant un cas particulier : celui de la laine et de la soie. Ces matières naturelles délicates sont actuellement mal notées dans le cadre de l’affichage environnemental, car la composante “ACV” (Analyse de cycle de vie) de la méthodologie considère que l’élevage animal a un impact environnemental négatif très important, sans prendre en compte les spécificités locales, ou les éventuels impacts positifs de certains modes d’élevage. En attendant l’amélioration de la méthodologie sur ce point, En Mode Climat propose que les matières naturelles délicates soient exclues du dispositif de pénalités de la loi.